Herbarius du Pseudo−Apulée et sa réception dans la tradition médico−magique européenne

Das Herbarium des Pseudo−Apuleius und seine Rezeption in der medizinisch−magischen Tradition Europas

La présente thèse, préparée en co−tutelle entre l´École pratique des Hautes Études (IVe section) et l´Université de Dresde dans le cadre du Collège doctoral international IGK 625, porte sur l´étude d´un herbier latin illustré datant du IVe siècle de notre ère que l´on a coutume d´appeler Herbarius du Pseudo−Apulée. Ce texte, dont l´auteur et le titre nous sont connus sous une multiplicité de dénominations, évoque des pratiques magiques et témoigne de superstitions relatives à la cueillette des plantes et aux procédés mis en œuvre pour les désigner et les décrire. Il emprunte à de nombreuses sources et s´inscrit dans le genre particulier de l´herbier : il se compose d´un ensemble de descriptions de plantes rassemblées dans un but médical et indique les détails concernant la préparation de traitements élaborés à partir de ces plantes. Or les divers rituels de la cueillette des simples montrent que la plante, proche et familière, suscite aussi la peur, à cause du contact direct qu´elle entretient par ses racines avec le monde chtonien et les divinités infernales, ces rituels comportant un caractère prophylactique et apotropaïque. L´Herbarius a par ailleurs connu un franc succès populaire si l´on juge le nombre important, pour un texte médical, de manuscrits conservés. De fait, il importe de considérer cet herbier pour ce qu´il est, un formidable témoignage sur la médecine populaire : c´est en tant que tel qu´il faut s´y intéresser, et non pas l´évaluer simplement au regard de la médecine scientifique. En effet, magie et médecine étaient encore indissociables à cette époque, car on ignorait bien souvent les véritables causes des diverses maladies dont l´étiologie, par conséquent, procédait d´une interprétation d´ordre magique plutôt que d´ordre pathogène. C´est donc dans ce contexte médico−magique qu´il convient de situer ce traité, afin de l´étudier, notamment, à la lumière des croyances dont il relève.

Mais comment expliquer l´engouement suscité par ce texte ? Qui l´a lu, de quelle manière l´a−t−on lu, qu´y a−t−on recherché ? S´agissant d´une période pour laquelle les témoins matériels de l´œuvre font défaut, il est d´abord nécessaire de se faire une idée précise de son contenu, de sa richesse et de ses particularités. L´analyse du contenu du texte de l´herbier, l´étude des choix qu´il implique, une réflexion sur l´éventail des remèdes et sur le type de médecine ou de littérature pratiquées, peuvent nous apporter de précieux renseignements. Étudier justement ces contenus, dire l´histoire qui se trame derrière l´immobilité factice des listes de simples, tel est l´objet de cette recherche. Au seuil d´une étude qui nous conduit à lire ce que les Anciens ont écrit de tant d´herbes de leurs chemins, il est utile de poser le problème botanique et de se demander si l´on peut identifier ces espèces avec quelque certitude, car il paraît hasardeux de reconnaître une herbe à peine évoquée voilà près de seize siècles en s´appuyant sur les connaissances des botanistes de ce siècle−ci. Mais nous pensons que les acquis de la science moderne peuvent nous amener à mieux prendre en compte les indications des textes anciens. Après avoir examiné le problème philologique et stylistique, il semble probant de mettre l´accent sur un point particulier, celui de la discordance entre espèces représentées et espèces décrites dans le cas des manuscrits illustrés ; ce fait revêt une importance certaine pour une œuvre comme l´Herbarius, pour laquelle la première édition illustrée date d´environ 1481 : c´est en effet le premier herbier totalement illustré jamais imprimé. Nous serons alors à même de nous demander quels problèmes de méthode pose l´étude d´une tradition scientifique ancienne susceptible de contaminations multiples. Ce n´est qu´à la suite de ces prolégomènes qu´il est possible de s´intéresser plus particulièrement au texte même de l´Herbarius, dans la mesure où celui−ci constitue la matière essentielle de cette investigation : nous envisagerons ainsi successivement les plantes (phytonymie et rituels de cueillette), puis les différents domaines pathologiques abordés et la nature des traitements proposés (nosographie, thérapeutique), entre magie et médecine.

Ma thèse s´inscrit dans la continuité des recherches esquissées en D.E.A. sur la magie, la médecine et les pharmacopées anciennes à partir de l´Herbarius et se consacre à l´étude, au sein de l´Europe médiévale, de la réception de ce texte émanant du monde méditerranéen, qui a été traduit en langue vernaculaire. Celui−ci a été utilisé comme source dans d´autres ouvrages médicaux populaires et a exercé une influence linguistique non négligeable sur le lexique botanique européen de la pharmacopée. Cette démarche me permettrait de comparer les différentes versions de textes médico−magiques et de soulever les problèmes de traduction, ainsi que de les comparer à d´autres versions européennes. Il me sera alors possible d´étudier les pratiques magiques exposées dans les textes, qui sont susceptibles de varier au sein de leur extension géographique à partir d´un même texte−source en latin. Il conviendrait de comprendre par là même à qui s´adressent ces traités botaniques : s´agit−il d´œuvres de tradition savante qui appartiennent à la science proprement dite, ou d´ouvrages de vulgarisation, qui appartiennent à une science populaire de tradition magique ? Il semble que ces deux perspectives ne soient pas imperméables, mais que des passerelles existent continuellement de l´une à l´autre. Est−il possible, d´autre part, d´identifier, à la lumière des acquis de la science moderne, les diverses espèces (re−)présentées ?

Le corpus que nous étudierons en particulier est une traduction de l´Herbarius qui a été établie dans la langue des Anglo−Saxons à la fin du premier millénaire ; il nous est connu sous le nom d´Old English Herbarium et marque la première incursion des œuvres médicales en langue vernaculaire au sein de l´Europe médiévale. Il forme une version élargie du traité latin et nous est parvenu sous la forme de quatre manuscrits, l´un d´entre eux étant remarquablement illustré (British Library Cotton MSS, Vitellius C. III). Ce texte n´est en aucun cas une traduction sans discernement de traitements à base de plantes provenant du monde méditerranéen ; il fait état, plutôt, de la connaissance pratique que l´on avait, grâce à la culture et à l´importation, des plantes largement disponibles à cette période dans l´Angleterre anglo−saxonne : un tel texte comporte des renseignements sur les plantes médicinales, leurs indications thérapeutiques et sert d´aide−mémoire pour la formation médicale traditionnelle. L´Herbarius et sa réception anglo−saxonne sont un héritage médical quelque peu laconique de la période du haut Moyen Âge, à une époque où la guérison reposait sur les plantes et d´autres substances naturelles et où la transmission du texte était assurée en grande partie par le monde monastique, comme l´atteste le nombre des manuscrits qui ont été conservés. L´œuvre est donc précieuse du point de vue de l´histoire médicale parce qu´elle ressemble singulièrement, dans son mode de présentation, son contenu et son apparente imprécision, aux textes modernes de phytothérapie, un domaine, d´ailleurs, vers lequel la recherche pharmaceutique actuelle se tourne afin de découvrir des thérapeutiques nouvelles ou alternatives. Une thèse que nous comptons avancer est que ces textes médicaux médiévaux et modernes supposent que l´usager entretient déjà une grande familiarité avec la matière médicale, sait comment poser un diagnostic et préparer les remèdes énumérés. Les textes n´ont pas vocation à instruire, mais ils sont destinés, en quelque sorte, à ressembler à des livres de cuisine à l´usage de cuisiniers expérimentés.

Pendant de nombreuses décennies, on a évoqué l´Old Eglish Herbarium comme n´ayant eu qu´un usage réduit dans l´Angleterre anglo−saxonne parce que cet ouvrage est la traduction d´une œuvre latine ; la question était de savoir si les plantes mentionnées avaient été disponibles dans les îles britanniques et si les Anglo−Saxons employaient en réalité (ou étaient capables d´employer) des remèdes issus d´une tradition continentale dont on pensait qu´elle leur était étrangère. Nous voudrions ici démontrer qu´une telle description est erronée, et l´un des objectifs de ce travail serait de replacer l´Herbarius ainsi que sa traduction en vieil anglais au sein d´une tradition médicale paneuropéenne, avec des éléments tirés, entre autres, de sources grecques et latines qui incluent charmes et magie. C´est une compilation qui a été employée d´un bout à l´autre de l´Europe médiévale et nous voulons montrer que les plantes médicinales qu´elle nécessite étaient disponibles depuis l´Europe du Sud jusqu´aux îles britanniques : la thérapeutique décrite dans le traité est suffisamment malléable pour être adaptée à des plantes qui poussent sous des climats différents et à des peuples qui évoluent à des époques très diverses. Cette tradition repose sur un apprentissage mené avec un praticien expérimenté et requiert la connaissance des plantes médicinales, la connaissance de leur mode d´administration et, dans une moindre mesure, des textes qui recensent les plantes et leur utilisation. Un tel corpus de prescriptions, qui s´est largement développé sur le continent européen, forme ce que l´on a coutume de nommer Rezeptliteratur ; il nous fournit des indications sur la manière dont l´Herbarius doit être considéré : on peut ainsi mieux comprendre l´herbier pas seulement à partir de ce que l´on trouve dans le texte écrit, mais en le replaçant dans le contexte de cette tradition orale. Pour finir, les approches scientifiques modernes sur le contenu de l´Herbarius et sa traduction en vieil anglais indiquent que certains des remèdes évoqués sont salutaires et, qu´en fait, leur usage pourrait suggérer la conception de nouveaux traitements.

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