Le nom du pêcheur napolitain Masaniello renvoie à une période de révoltes et de mouvements sociaux et politiques ayant troublé, au milieu du XVIIe siècle, le vice-royaume de Naples. De plus, la révolte appartient à toute une série de révoltes similaires et parallèles en Europe. Elle commença à Naples le 7 juillet 1647 comme mouvement de protestation anti-fiscale et prit fin le 16 juillet avec la mort de Masaniello. Pendant cette brève période, le pêcheur exerça un pouvoir absolu sur la cité, qui ne cessa d’être soutenu par le peuple qu’avec les premiers signes de folie chez Masaniello, le héros sage et raisonné devenant tyran insensé.Dans l’analyse, il faudra donc partir de l’idée que la situation était instable. Le système de relations sociales bien équilibrées et strictement organisées fut corrompu de manière spontanée et incalculable. La révolte napolitaine s’avéra tout d’un coup être le catalyseur potentiel et radical susceptible de plonger dans la crise voire mettre en question une société strictement hiérarchisée fondée sur le droit divin. La ville tomba, certes pour une courte période – mais il s’agissait ici d’un précédent – dans une incontrôlable anarchie. Et l'anarchie constituait, (encore et tout particulièrement) au XVIIe siècle, une limite culturelle absolue, donc l'impensable.
Notre projet de thèse de doctorat se propose de présenter la révolte de Masaniello dans une perspective scientifico-littéraire. Il s’agira de dégager la «dramaturgie» d’un événement que les témoignages contemporains s’efforcent de structurer et interpréter en le réduisant dans un cadre sémantique traditionnel (cf. le rôle décisif des images, le modèle dramaturgique de la chute obligée du protagoniste sans mesure). Trois aspects guideront notre analyse. Ils résultent de la dé-construction de ce que les écrits disent du caractère de Masaniello. La question est ici avant tout de savoir comment le héros est présenté: comme rebelle, comme saint ou martyr voire Christ séculier, comme expression individuelle de l’esprit collectif? Deuxièmement, comment sa rébellion est-elle motivée: par une cause privée ou publique, est-elle une rébellion condamnable ou la manifestation d'un droit de résistance? Enfin, quelles sont les explications données à l’échec de Masaniello: son instabilité de caractère, sa folie, son assassinat ou la marche nécessaire de l’histoire?
Les germanistes connaissent la révolte de Masaniello surtout par la tragédie qu’écrivit Christian Weise en 1682. «Pouvoir», «droit» et «violence» sont les notions-clés de cette pièce de théâtre. Celles-ci y caractérisent la constitution de Masaniello comme personne politique, qui, par analogie, est appliquée à la souveraineté de peuple instaurée par Masaniello lui-même. L'aspect de la folie joue ici un rôle constitutif. Weise, qui voit les choses selon le principe du droit divin, raconte une histoire horrible résultant du renversement total de l’ordre social. C’est l’opéra «La muette de Portici» d’Aubers qui jouit de la plus grande renommée parmi les œuvres littéraires consacrées à notre sujet. L’opéra, sur un livret de Scribe et Delavigne, fut créé et joué en 1828 sur les scènes parisiennes pendant la Restauration. Jusqu'à aujourd’hui, le sujet continue d’être adapté, dernièrement en 1989 en Allemagne. Pour ce qui est des textes, qui s’étalent sur une période de quelque 350 ans, nous n’aurons donc que l’embarras du choix. Il conviendra néanmoins de faire la restriction suivante – et ce pour des raisons qui ne sont pas seulement pragmatiques.
Sur la base des textes du XVIIe siècle, il s’agira de combiner dans l’analyse les deux champs discursifs du pouvoir (légitime/illégitime) et de la folie, ce pour répondre à la question fondamentale: comment les textes ordonnent-ils cet évènement chaotique, impensable? Cette question renvoie à celle de savoir comment l’ordre est rétabli par la mise par écrit de l’évènement? Si l’on admet que la littérature sert à transmettre des valeurs, les textes littéraires alors obéissent à cet égard à des règles particulières assurant cette transmission. L’analyse des procédés littéraires générateurs d’ordre se fondera sur trois sortes de textes: écrits historiographiques (chroniques, journaux intimes), pièces de théâtre et lettres.